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Prévention Covid-19 : il faut impliquer davantage les associations dans le dépistage

Catherine Tourette-Turgis, Sorbonne Université; Dominique Salmon, Université de Paris; Marie Chollier, University of Chester et Patricia Enel, Aix-Marseille Université (AMU)

Ce premier week-end de juin 2020, les Français ont pu lire dans la presse qu’à l’avenir, il n’y aura plus de confinement possible et qu’il revient de ce fait à chacun de se responsabiliser. Il semblerait que soient désormais privilégiées des stratégies de prévention et de protection spécifiquement destinées aux personnes ou groupes vulnérables.

Dans le prolongement de la stratégie « tester, tracer, isoler », la mise en place de dispositifs innovants dans les zones les plus exposées au virus cumulant précarité et densité de population devient donc urgente. Cela implique non seulement de diagnostiquer le virus, mais aussi d’évaluer les besoins en prévention, afin de proposer des offres adaptées et appropriées aux différentes populations, en particulier les plus vulnérables.

Dans son point hebdomadaire du 29 mai 2020, l’agence Santé publique France relève que 109 nouveaux clusters ont été recensés en France métropolitaine et en outre-mer (hors Ehpad et milieu familial restreint). Parmi ces clusters, 64 % ont plus de 5 cas, et concernent notamment des « personnes en situation de précarité et de vulnérabilité », dont 19 % ont été identifiées dans des établissements d’hébergement social et d’insertion, et 6 % en communautés vulnérables : gens du voyage, migrants en situation précaire, etc.

Améliorer la prévention à destination de ces populations nécessite un savoir-faire spécifique, que les associations qui s’occupent des populations vulnérables ont acquis de longue date, dans le contexte d’autres épidémies. Ces acteurs de terrain expérimentés pourraient être mobilisés utilement dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.

Des mesures qui coûtent à la population

Dans son point épidémiologique du 4 juin, Santé publique France souligne que la part de la population adoptant systématiquement les mesures de prévention (mesures d’hygiène et de distance physique) a « significativement diminué » entre le 23 mars et le 20 mai.

À l’exception de l’adoption du port du masque systématique en public (passée de 15 % en mars à 54 % en mai), toutes les mesures de mesures de prévention sont concernées par cette diminution de l’observance. On constate par exemple que le respect de la distance physique préconisée est passé de 85 % en mars 66 % en mai, tandis que sur la même période le comportement relationnel et affectif sans contact (saluer sans serrer les mains, arrêter les embrassades) est passé de 92 % à 83 %. L’adoption des mesures d’hygiène (se laver les mains) est cependant restée stable après la levée du confinement.

Cette évolution montre que, si les gens se sont conformés aux directives de santé publique (les taux d’observance des mesures de prévention restent élevés), l’adoption des mesures visant à limiter la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 coûte à la population. Il faut donc penser une communication spécifique pour que ces comportements perdurent. Le temps du dépistage est l’occasion de le faire.

Du test à la prévention combinée

Dans son rapport du 2 juin 2020, le Conseil scientifique instauré dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 préconise de favoriser l’accès au test de dépistage sans consultation médicale préalable. Il cite en particulier quatre facteurs devant inciter à un plus large accès aux tests : l’âge, la présence de comorbidité (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires…), la précarité, et les zones à forte densité de population.

Ce rapport rappelle l’importance de mobiliser les acteurs de proximité afin de déployer des mesures de prévention et de dépistage acceptables par les différents publics, qui soient par ailleurs respectueuses de leurs droits. Il s’agit en particulier d’insister sur l’accompagnement social à déployer en cas de résultat positif au test de dépistage : maintien ou extension des droits de résidence pour les personnes précaires, des droits d’hébergement et des subsides, etc.

Cela implique un travail de maillage territorial et une inventivité dans les approches sanitaires de prévention et de dépistage, qui doivent comprendre d’emblée un volet de protection sociale. Or de nombreux acteurs de terrain ont développé une expertise dans ce domaine au cours des dernières décennies, dans le cadre d’autres épidémies.

Le dépistage comme outil de prévention

Le lien entre pratiques de dépistage et comportements de prévention chez les personnes dont le résultat des tests s’avère négatif est une question de santé publique majeure.

On considère en effet que l’annonce du résultat est le moment le plus pertinent pour inviter la personne concernée à explorer les moyens à mettre en œuvre pour rester séronégative. Il s’agit de profiter de cet instant pour renforcer ses capacités en matière d’adoption ou de maintien de comportements de prévention, et son sentiment d’« auto-efficacité », autrement dit sa conviction en sa capacité à accomplir une tâche. Ce sentiment d’auto-efficacité est important, car plus il est élevé, plus élevés sont les objectifs que s’impose l’individu, et plus il s’implique dans leur réalisation.

Ce constat a été effectué au cours de la lutte contre les épidémies de sida et d’hépatite C (VHC). Il a abouti à des recommandations nationales qui préconisent la promulgation systématique d’informations et de conseils personnalisés, en amont de la démarche de prélèvement pour le dépistage et lors de l’annonce de résultats négatifs.

L’appel à la responsabilité individuelle est aussi l’occasion de décliner une approche combinée avec une offre de dépistage volontaire, anonyme, gratuite et accessible.

L’efficacité de l’« aller-vers »

Organiser des stratégies allant vers les publics éloignés du système de santé, qu’il s’agisse du soin, de la prévention ou du dépistage, est une démarche essentielle en santé publique. Les Anglo-saxons ont un terme pour la désigner : « outreach ». On peut le traduire par « aller-vers ».

Cette approche, issue des pratiques de service social, vise à entrer en contact avec des individus, des groupes, des communautés pour leur offrir un accès personnalisé et anonymisé à une offre ou un service qu’elles n’utilisent pas, pour des raisons variées : éloignement, barrière de langue, critères d’éligibilité, risque de stigmatisation ou de discrimination, etc.

Déployés pour la promotion de la santé et la prévention dès les années 2000 dans la lutte contre le VIH/sida, les dispositifs d’outreach visent à identifier des lieux fréquentés par les publics concernés, et à leur proposer un service rapide de dépistage, d’information et d’orientation vers des structures de santé préparées à leur venue et sensibilisées à la non-discrimination.

Ces dispositifs allient service, centrage sur la personne, posture de bienveillance et proposent un équilibre entre le collectif et l’individuel. Ils répondent non pas seulement à un enjeu de santé et de sécurité publiques mais de démocratie en santé car il s’agit de délivrer directement aux citoyens les moyens pour devenir et rester acteurs de leur santé et de celle de leurs proches.

Capitaliser sur le savoir-faire associatif

Malaria, VIH, virus de l’hépatite C… Au niveau mondial, de nombreuses maladies infectieuses ont déjà fait l’objet de stratégies de dépistage de masse.

En France, des recommandations existent pour le VIH et le virus de l’hépatite C. Elles incluent notamment le recours au dépistage par tests rapides d’orientation diagnostique, ou TROD, déployés par des associations de santé.

Ce type de test, mené sur une goutte de sang prélevée au bout du doigt, permet d’obtenir un résultat en quelques minutes. La personne testée sait donc immédiatement si elle a été en contact avec le virus, et connaît donc son statut sérologique au jour J. Soit elle est négative et donc n’a jamais été en contact avec le virus, soit elle est positive et cela signifie qu’elle a été contaminée depuis moins d’un mois (elle est encore contaminante). Si elle a été contaminée depuis plus longtemps, elle ne transmet a priori plus le coronavirus.

La Haute autorité de santé suggère de réserver l’utilisation des TROD Covid aux populations en situation d’isolement ou encore des populations marginalisées prises en charge par des associations. Or au fil des années, les associations et acteurs de terrain ont acquis un savoir-faire dans ce domaine qui pourrait être mis à profit dans le champ du Covid-19. Ces acteurs ont en effet œuvré au contact des populations vulnérables, dans les endroits où elles se trouvaient : lieux de consommation sexuelle, de consommation de drogue, espaces publics anonymes, etc.

Elles ont participé au développement de stratégies combinées de prévention et dépistage par TROD, et disposent d’agréments de la direction générale de la santé qui pourraient être étendues au Covid-19. D’autant plus que le Conseil scientifique recommande l’utilisation des dispositifs publics et que la Haute Autorité de Santé a inscrit les TROD au nombre des moyens de lutte.

Tenir compte de la santé mentale

Si l’accompagnement et l’annonce des résultats sont une opportunité pour permettre à la personne testée de renforcer ses comportements de prévention, cela ne peut se faire sans prendre en compte les éléments relatifs à son vécu de l’épidémie, qui vont s’intégrer aux déterminants de santé et de santé mentale, dans une approche globale.

Il s’agit ainsi de répondre aux recommandations de prévention et de dépistage des traumas causés par le confinement. Travailler en étroite relation avec des services de santé mentale permet de proposer aux personnes d’autoévaluer leur degré de stress mental et de les orienter vers des dispositifs téléphoniques ou en présentiel d’écoute et de soutien post confinement.

Cette approche est importante, car Santé publique France rappelle par exemple que si la santé mentale des Français, qui avait été très dégradée au début de l’épidémie, s’est améliorée (à l’exception des troubles du sommeil qui se sont accrus), « des niveaux d’anxiété élevés restent observés chez les personnes déclarant des antécédents de troubles psychologiques et chez celles déclarant des difficultés financières ».

Toujours selon l’agence nationale de santé publique, si l’on veut maintenir l’adoption des mesures permettant de réduire la circulation du virus sans contribuer à l’augmentation des états anxieux, il faut « renforcer en priorité les capacités d’adoption des comportements de protection » et « soutenir le développement de normes sociales favorables à l’adoption de ces comportements ».

Quelle stratégie en cas de seconde vague ?

Parmi les stratégies de prévention d’une possible deuxième vague épidémique, des associations ont déjà préparé des adaptations des protocoles de dépistage VIH/VHC ayant fait la preuve de l’efficacité d’une approche bienveillante et empathique à l’égard de publics difficiles à atteindre ou en rupture de confiance avec les institutions sanitaires. Ils sont basés sur les recommandations actuelles et la disponibilité de TROD Covid-19 validés

Il s’agit de déployer des dispositifs mobiles, avec des stands d’accueil éphémères et empathiques, où interviendront des agents de prévention formés à l’information-conseil pré- et post-test.

Si le résultat s’avère négatif, la personne bénéficie d’une écoute personnalisée en prévention et des orientations nécessaires. Si le résultat est positif, la personne est informée sur la marche à suivre et orientée vers les lieux de réalisation du test confirmatoire. Un accompagnement adapté à ses besoins médico-psycho-sociaux lui est également proposé.

La prévention dans le cadre de l’épidémie du SARS-CoV-2 ne peut se faire sans la prise en compte singulière des vécus des personnes, de leurs ressources et de leurs stratégies. Le dépistage auprès des publics vulnérables est un enjeu de santé publique et individuelle et plus encore un outil de démocratie sanitaire. Redonnons le pouvoir d’agir aux associations qui ont acquis assez d’expérience pour intervenir dès maintenant !


Cet article a été co-écrit avec Jérôme André, directeur de l’association de santé HF Prévention, habilité par la direction générale de la santé pour le dépistage rapide dans le VIH et le VHC, vice-président du COREVIH Île de France SudThe Conversation

Catherine Tourette-Turgis, Chercheure au CNAM - Professeur, Sorbonne Université; Dominique Salmon, Médecin, PU-PH - Maladies Infectieuses, AP-HP - Présidente du COREVIH Ile de France Sud, Université de Paris; Marie Chollier, Senior Lecturer, Social and Political Science Dept., University of Chester et Patricia Enel, Praticien Hospitalier en Santé Publique - AP-HM, Centre de recherche sur les services de santé et la qualité de vie EA3279, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.