Karine Abiven 2

Karine Abiven

Docteure 2012 et maîtresse de conférences à l’UFR de langue française

Avec un collègue informaticien du laboratoire, nous avons mis en ligne 3 000 documents exploités numériquement. Ensemble, nous travaillons dans les humanités numériques.

Karine Abiven, actuellement maîtresse de conférences en faculté des Lettres, prépare l’HDR en travaillant sur les mazarinades et revient sur son parcours émaillé de passages dans de grands établissements anglophones étrangers.

Quel est votre parcours ?
Karine Abiven :
Après hypokhâgne et khâgne option musique au lycée Fénélon (Paris), j’ai fait ma licence 3 en lettres à Sorbonne Université et à l’ENS Paris. J’ai fait mon master 1 de lettres sur Proust à Paris 3 Sorbonne Nouvelle. J’ai obtenu mon agrégation de lettres et suis ensuite partie enseigner le français aux États-Unis (Université de Yales). Je suis revenue à Sorbonne Université faire mon master 2 avec Delphine Denis avec un travail en stylistique sur le XVIIe siècle sur un auteur peu connu, Tallemant des Réaux. Je suis repartie à l’étranger, une année au King’s College à Cambridge en 2007 pour mûrir mon sujet d’étude.

Le fait d’avoir des années « blanches » en termes d’inscription à un diplôme a été un véritable luxe. J’ai ensuite fait mon doctorat entre 2008 et 2012. J’ai bénéficié d’une allocation couplée (contrat doctorat avec une charge d’enseignement) : j’enseignais 64 heures TD annuellement. À l’issue de ma 3ème année, je n’avais pas tout à fait fini et j’ai fait un ATER à mi-temps pendant ma 4ème année. J’ai soutenu en novembre 2012, à 30 ans.

Parlez-nous de votre sujet de thèse ? 
K.A. :
Ma thèse était relative aux cultures narratives sous l’Ancien Régime, c’est-à-dire la manière dont les gens racontaient les histoires et la portée esthétique mais aussi politique de ces attitudes narratives. Au XVIIe siècle, il y eut une sorte de « mode » de l’anecdote, à la fois comme « petite histoire » dans l’écriture de l’Histoire, et comme récit ordinaire et plaisant circulant dans les nouveaux usages de sociabilité (ce qu’on a appelé plus tard les « salons »). J’ai essayé de relier ces deux emplois très différents autour d’un questionnement commun : qu’est-ce que les narrateurs choisissent de rendre exemplaire ? Pourquoi de petites péripéties sont jugées dignes d’être racontées ? Il y avait là une sorte d’archéologie du storytelling, où comment l’anecdote participe de l’orientation des récits de soi et de la société.

D’un autre côté, il y avait une dimension politique à ces manières de raconter, de construire une contre-histoire de la monarchie. En donnant à voir les histoires triviales au sujet de Richelieu, Mazarin, Louis XIII, Louis XIV, ce n’était pas confirmé la grande histoire des grands hommes en l’assaisonnant par de petits récits piquants. La narration d’anecdotes venait miner plus profondément le dispositif de la grande histoire en montrant que les rapports de pouvoir eux-mêmes se structuraient sur des aspects triviaux et privés, et non pas seulement sur le champ de bataille ou au conseil des ministres.

Comment avez-vous choisi votre sujet et votre direction de thèse ?
K.A. :
Je suis arrivée avec mon idée du sujet parce que je voulais travailler sur le récit et sur la période XVIe-XVIIIe siècles. Je l’ai proposé à Delphine Denis, en travaillant avec elle à une manière de l’orienter vers la stylistique (à la charnière de la littérature et de la linguistique) qui est sa spécialité et qui m’intéressait particulièrement. 

Comment êtes-vous devenue maitresse de conférences ? 
K.A. :
J’ai ensuite continué comme ATER à plein temps à Sorbonne Université pour quelques mois. En effet, en 2013, j’ai eu la chance qu’un poste soit ouvert dans ma spécialité : une enseignante du département est devenue professeure ailleurs, elle a laissé sa place et j’ai eu la chance d’être recrutée toute de suite, en mai 2013. J’ai été là au bon moment : c’était le rêve. Cela fait 10 ans que je suis maitresse de conférences en langue et littérature française pour des étudiantes et étudiants en lettres modernes. Je fais des cours de grammaire et de rhétorique dans le département où j’ai fait mon master 2 et ma thèse. 

Quels sont vos projets actuellement ?  
K.A. :
J’ai déposé, il y a 3 ans, un projet  qui s’appelle Antonomaz. Je suis déchargée d’une partie de mes cours et je fais beaucoup de recherche, en histoire et en littérature française, sur des écrits politiques : les mazarinades. Ce sont des pamphlets, de petits écrits diffusés sous Mazarin, pendant la Fronde au milieu du XVIIè siècle. Avec un collègue informaticien du laboratoire, nous avons mis en ligne 3 000 documents exploités numériquement. Ensemble nous travaillons dans les humanités numériques, une discipline à l’intersection des lettres et de l’informatique. Le site, appuyé par diverses initiatives de Sorbonne Université, permet de mieux comprendre la Fronde, ce moment où la monarchie absolue a été inquiétée par une révolte aristocratique soutenue par le peuple.

Parallèlement, j’ai décidé de travailler plus précisément sur les chansons de la Fronde parce qu’elles avaient un rôle politique important, touchant plus que l’imprimé dans une société très largement non alphabétisée comme celle de l’époque. Je suis en train d’en faire une édition, une analyse critique. Ces chansons pourront être rejouées car je suis en train de transcrire les partitions et les musicologues pourront s’en servir. Je prépare cela pour obtenir le dernier diplôme, c’est-à-dire l’habilitation à diriger des recherches (HDR). J’espère avoir fini d’ici un an. 

Quels conseils donneriez-vous aux doctorantes et doctorants ?
K.A. :
Il est raisonnable de se lancer dans la thèse avec des soutiens : cadre et financement. C’est très difficile de se lancer dans une thèse non financée malgré l’amour de l’art, de la science. Les jeunes chercheurs doivent apprendre à se respecter eux-mêmes en refusant de se laisser précariser. J’ai toujours eu la foi et la flamme mais il faut être conscient que cette flamme est parfois mise à rude épreuve par les conditions objectives de la recherche et de l’enseignement. Par chance, j’ai eu beaucoup de reconnaissance dans mon parcours mais cette reconnaissance est parfois longue à venir, c’est parfois un parcours parsemé d’embûches.