Chloé LACOSTE

Doctorante au sein du Centre d’Histoire du XIXe siècle

Héritage culturel, organisation politique, rituels funéraires et symboles chez les républicains irlandais, 1858-1916

Doctorante au sein du Centre d’Histoire du XIXe siècle, Chloé Lacoste travaille sur l’usage des rituels funéraires par les indépendantistes républicains en Irlande, surnommés « Fenians ». De la fondation du mouvement en 1858 jusqu’à la révolte de Pâques en 1916, des funérailles contestataires ont eu lieu ponctuellement. Ces funérailles ritualisées sont analysées du point de vue de leurs usages symboliques et identitaires ainsi qu’au travers de leur inscription à la fois dans le temps et dans l’espace. Cela se traduisait d’ailleurs par de longues processions organisées pour accompagner le défunt jusqu’à la tombe, l’occasion pour les républicains d’occuper l’espace urbain.

Thèse sous la direction de Fabrice Bensimon , Faculté des Lettres de Sorbonne Université
Crédit photo : Chloé Lacoste, Irlande, 2016-2019

 

 

Vue de la rive nord : Ellis Quay (à gauche) et Arran Quay (à droite), séparés par Liam Mellow’s Bridge, photo prise depuis Usher’s Island.

"Dans le cadre de ma thèse, j’étudie la question de l’occupation de l’espace. Je me suis donc rendue à plusieurs reprises en Irlande, et notamment à Dublin où ont eu lieu la majorité des funérailles sur lesquelles je travaille. La quasi totalité des processions dublinoises ont longé les quais nord de la ville. Construite pour une grande part à l’époque victorienne, cette partie de la ville demeure très similaire à ce qu’elle était alors."

 

De gauche à droite : le monument aux « Manchester Martyrs » et les tombes de James Stephens et John O’Leary.

"Le cimetière de Glasnevin est aujourd’hui connu pour abriter autant de défunts qu’il y a d’habitants à Dublin. Ouvert en 1832, il a acquis un statut de nécropole nationale – et dans une large mesure nationaliste. L’occupation contestataire de l’espace a son importance dans le cimetière autant que dans l’espace urbain. Située à proximité de l’entrée du cimetière et du monument hommage à Daniel O’Connell (le nationaliste irlandais le plus célèbre), la zone où sont enterrés la majorité des républicains fut très vite surnommée « republican plot* » et utilisée comme témoin de l’histoire nationaliste."

traduction : carré républicain

 

"En Irlande, les rituels de commémoration conservent à ce jour une importance particulière. La période 2012-2022, surnommée « Decade of Commemoration », est parsemée d’événements officiels, académiques, et critiques. En août 2015, une reconstitution des funérailles du Fenian Jeremiah O’Donovan Rossa a réuni 10 000 personnes. En août 2016 j’ai moi-même pris part à une marche commémorant la mort de Roger Casement, le dernier des exécutés de 1916, dont voici la tombe."

 

"La déambulation dans le cimetière de Glasnevin est aussi l’occasion de rencontres surprenantes. Lors de mon dernier séjour à Dublin, en juillet-août 2017, j’ai rencontré devant cette tombe de John Devoy (indépendantiste important au cours de la période que j’étudie et mort en 1928) une descendante de ce dernier, qui est sud-africaine."

 

"L’historien Thomas Laqueur qualifie les cimetières qui se développent au dix-neuvième siècle de « paysages des morts » (« landscape of the dead »). Cette expression prend tout son sens lorsqu’on observe les forêts de croix celtiques caractéristiques des cimetières irlandais. Ces dernières sont particulièrement communes à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, et pour orner les tombes des nationalistes."

 

"Les indépendantistes pouvaient brouiller la limite entre l’espace urbain et celui du cimetière. Ce monument érigé en 1887 au cimetière Mount Saint Lawrence à Limerick pour les vingt ans de l’exécution des « Manchester Martyrs » est plus grand que la majorité des tombes du cimetière. Il est situé à part, isolé sur un piédestal juste derrière les grilles du cimetière, presque sur le trottoir. L’occupation visuelle de l’espace est importante symboliquement ; le monument s’impose à la vue de tous."

 

"Comme la grande majorité, les processions républicaines de Limerick faisaient des détours importants pour occuper l’espace urbain plus longtemps. Elles passaient notamment sur les quais sud du fleuve Shannon, face au château médiéval, situé à l’autre bout de la ville par rapport au cimetière de Mount Saint Lawrence. À l’exception des bâtiments de l’hôtel de ville, construits en 1994, cette vue est très proche de celle qu’ont pu avoir les participants de l’époque."

 

"Construits en 1857 à Cork, les bâtiments du Mercy Hospital ont accueilli la dépouille du nationaliste Terence Bellew McManus, rapatriée des États-Unis pour un enterrement à Dublin le 10 novembre 1861. Cet événement fut le précurseur de la longue série que j’étudie. Le bâtiment est un des rares à avoir servi lors de ces événements et à n’avoir pas changé d’usage même s’il a été agrandi et modernisé."

 

Fleuve Lee, à Cork, notamment Saint Patrick’s Quay, depuis le pont Brian Boru."

"Une partie de mon travail de thèse consiste à créer des cartes représentant le trajet des processions funéraires. Elles ont en commun, de façon quasi systématique, de s’étendre le long des quais de la ville concernée. Il s’agissait alors de ports actifs, et il est probable que ce choix leur permettait de bénéficier d’une grande visibilité."