Clarisse Chabernaud

Doctorante en langue et littérature françaises

Ce portrait a été réalisé à partir d’un entretien mené par Nicholas Aurier, étudiant en Licence de Lettres modernes, auprès de Clarisse Chabernaud, doctorante en langue et littérature françaises.


Quel a été votre parcours étudiant ?
J’ai fait une prépa littéraire (hypokhâgne et khâgne), et j’ai ensuite intégré l’ENS de Lyon en première année de master, en Lettres modernes. J’ai alors entamé des recherches sur le nom propre et la tragédie classique. Mon directeur et ma directrice de recherche m’ont encouragée à conjuguer les résultats de mes mémoires de M1 et de M2 et à préparer un sujet de thèse. Je voulais en effet commencer un doctorat.
Après ma deuxième année de master, j’ai donc préparé un dossier de candidature pour obtenir un contrat doctoral à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Mon sujet est « Le nom propre dans les tragédies de Racine. Étude linguistique et stylistique ».

Pourquoi avoir choisi une spécialisation en grammaire ? 
En master de Lettres modernes, j’ai choisi l’option Langue française car il n’y a pas d’enseignement de grammaire et de linguistique en classe préparatoire (il n’y a pas d’épreuve spécifique aux concours des ENS), et je voulais combler mes lacunes. Avec la linguistique j’ai aussi découvert la stylistique ; ces disciplines donnent la possibilité d’étudier des textes d’une manière très précise, de prolonger une étude littéraire à l’aide d’une grande attention à la langue, grâce aux théories des sciences du langage.
Quand on s’intéresse à la grammaire, on s’intéresse à la langue comme objet, dans une attitude de recherche qui est constamment métalinguistique. C’est une attitude de pensée qui est en elle-même particulière et qui m’intéresse car elle invite à s’arrêter sur notre propre maniement des mots et de la syntaxe, elle nous amène à observer nos usages en tant que locuteur. Elle permet du même coup de développer des compétences solides pour étudier le discours d’autrui.

Comment conseilleriez-vous les étudiants qui choisissent votre parcours ?
Pour ceux qui ont fait une prépa, qui choisissent ensuite les Lettres en master et qui veulent passer l’agrégation, je mettrai en garde contre les épreuves de grammaire (en français médiéval et en français moderne). Ce sont des épreuves pour lesquelles la classe prépa ne sera pas d’une grande aide, contrairement aux dissertations. Il est difficile de se mettre rapidement dans une réflexion linguistique et je conseille, une fois en M1 à Sorbonne Université, de suivre les TD de grammaire dispensés aux étudiants de licence de Lettres. Ces cours de licence – j’ai par exemple assuré celui de L1 sur le système verbal et celui de L2 sur la phrase complexe et les propositions subordonnées – reprennent la base à partir de laquelle on peut progresser efficacement pour atteindre le niveau attendu au concours.
De manière plus générale, je conseille aux étudiants de toujours donner à leurs études un but précis. À partir du master surtout, il faut songer à la transition entre parcours étudiant et projet professionnel, car le vide s’installe vite à la fin du M2 et il faut pouvoir rebondir. Ensuite, ce but ne doit pas être un absolu : il faut lui conserver une forme de malléabilité afin de rester ouvert à d’autres opportunités. C’est cette malléabilité qui nous rend possesseur de plusieurs cartes à jouer quand on choisit un parcours dans les sciences humaines, et les enseignements de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université nous donnent précisément une adaptabilité qui est un atout précieux et dont il faut reconnaître l’ampleur.
Plus précisément enfin, sur la méthode de travail et les cours : je conseille à ceux qui veulent enseigner d’observer la manière dont leurs profs organisent leurs cours et les dispensent. Cela permet de savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas, pour en tirer des leçons par la suite. Savoir faire preuve de pédagogie, comprendre ce que quelqu’un ne parvient pas à formuler et l’amener à l’énoncer clairement pour y ajouter quelque chose ou simplement conduire un dialogue qui avance, c’est une qualité qui ne sert pas uniquement aux profs, elle est très utile dans beaucoup de situations professionnelles.

Quels sont vos projets futurs ? 
Avec toutes ces cartes à jouer, et même après le doctorat, j’ai plusieurs possibilités. Je souhaite tout d’abord obtenir la qualification de Maître de Conférences pour pouvoir obtenir un poste à la rentrée 2022.
Je compte également continuer à écrire des articles de recherche sur Racine et sur le théâtre. Le format des articles me plaît beaucoup et j’aimerais également écrire sur l’actualité, sur la manière de prendre la parole en public, sur le maniement de la langue oratoire. Après trois ans de recherche sur le théâtre et la rhétorique, je dispose des outils spécifiques pour étudier ces sujets.
Il m’est aussi possible d’enseigner dans le secondaire. Les professeurs de français en collège et en lycée ont une responsabilité de plus en plus importante car les élèves doivent savoir écrire et s’exprimer correctement et avec un minimum de fautes, les recruteurs et les entreprises étant de plus en plus intransigeants sur les questions de langue.

Pourriez-vous résumer votre expérience dans le domaine de la recherche ?
Pour moi la recherche c’est apprendre par soi-même, on fait de la recherche en apprenant par la recherche. Tout ce que j’ai mis dans ma thèse par exemple, je l’ignorais il y a trois ans : je connaissais les pistes intéressantes et comment les explorer, mais je ne connaissais pas les résultats possibles, et le plan de la thèse lui-même évolue constamment jusqu’à la rédaction finale. C’est comme cela qu’on apprend des choses, c’est un processus d’apprentissage en autodidacte. C’est pour cette raison que les docteurs sont considérés comme des travailleurs autonomes. Ils savent gérer leur stress, leurs difficultés, leur planning, les données de leur recherche, la mise en forme de cette recherche, sa vulgarisation parfois aussi, et sa présentation finale lors de la soutenance.
Je dirai de mon expérience dans le domaine de la recherche qu’elle est assez variée car elle fait enchaîner des périodes de solitude nécessaires à la réflexion et à l’élaboration de nouvelles problématiques, nécessaires aussi à la rédaction ; avec des périodes de travail en commun pour l’organisation d’événements comme les colloques lors desquels la mise en commun de pistes de réflexion nourrit intensément les recherches de chacun.
Ce que j’ai apprécié aussi, ce sont les opérations pratiques avec la création de banques de données. On peut être amenés à créer des questionnaires, à aller interroger des locuteurs français, à compiler les résultats. Chez Racine par exemple, j’ai créé des représentations graphiques de la répartition des noms dans les pièces à partir de classements élaborés exprès, et en lien étroit avec les problématiques scéniques et énonciatives propres au théâtre. Il n’y a pas de limite dans la création de manières d’étudier les textes, tant que la méthodologie est solide.


Entretien réalisé dans le cadre de recherches pour le TD « choix professionnels » dispensé en Licence 1 de Lettres modernes.
Questionnaire et retranscription – Nicholas Aurier
Présentation et mise en forme du texte – Clarisse Chabernaud