Alessandro Garcea
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Lancement du projet LiTeRA : interview d’Alessandro Garcea

Professeur de littérature latine et d'histoire des textes à la Faculté des Lettres, Alessandro Garcea a obtenu un financement de l’ERC pour son projet "LiTeRA - Linguistic Texts of Roman Antiquity. Collecting fragments, sources and lexicon in a digital environment".

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis arrivé en 2013 à la Sorbonne, où j’enseigne la langue et la littérature latines. Je suis également directeur adjoint de l’UFR de Latin et de l’école doctorale « Mondes antiques et médiévaux », et je coordonne l’Initiative Sciences de l’Antiquité de l’Alliance Sorbonne Université.


Comment vous est venue l'idée de ce projet ?
Ce projet est lié aux recherches que je mène et poursuis depuis quelques décennies sur les textes fragmentaires de l'histoire de la grammaire à l'époque républicaine et impériale et se structure autour de deux axes.
D'une part, l'étude de l'histoire des idées linguistiques dans l'Antiquité, avec un intérêt particulier pour les formes de réflexion des Anciens sur les fondements de leur propre langue. Pour le dire autrement, il s'agit de s'interroger sur la façon dont ces derniers ont créé des catégories qui permettent d'analyser le grec et le latin.
D'autre part, ce projet s'intéresse aux textes entendus comme extraits, fragments, et citations. Cette caractéristique complique énormément la reconstitution de la version originale ou du moins de la forme hypothétique qu'elle pouvait avoir. Ces témoignages restent essentiels pour compléter nos connaissances sur les débats intellectuels de l'Antiquité. Ils permettent aussi de mieux comprendre les textes préservés intégralement, c'est-à-dire les classiques de la littérature.


Le Conseil européen de la recherche (ERC) a sélectionné votre projet pour un financement important sur cinq années. Pourquoi l'avoir présenté au Conseil européen de la recherche (ERC) ?
J'ai mené ces recherches durant deux décennies, en ayant des financements ponctuels, en tant que jeune chercheur ou pour un projet émergence de Sorbonne Université, ce qui m’a permis de bien avancer.
Mais, parvenu à un certain stade de maturité, il a fallu envisager la création d'une équipé dédiée de taille plus importante, censée achever le projet. Le risque aurait été de continuer à faire des petits progrès, mais de ne pas réussir à avoir le temps, les énergies et les conditions générales pour permettre de réelles avancées.


En quoi consiste le projet "LiTeRA" (Linguistic Texts of Roman Antiquity. Collecting fragments, sources and lexicon in a digital environment) ?
Ce projet est né d'un paradoxe : bien que l'on connaisse les origines des idées linguistiques en Grèce antique, grâce à Platon, Aristote et les stoïciens, il y a un vide entre cette période et la grammaire latine tardive du quatrième siècle après Jésus-Christ. Pourtant, des œuvres importantes sur la langue ont été réalisées à Rome dans ce laps de temps. Ces textes, bien que partiellement conservés, sont fondamentaux pour la reconstitution de l'histoire des idées linguistiques et pour la création des catégories grammaticales qui sous-tendent encore les langues romanes.
Les Romains ont dû adapter les catégories linguistiques grecques pour décrire le latin, soulevant la question du transfert entre deux cultures différentes. Il est à noter que ce ne sont pas seulement des grammairiens, mais aussi des figures publiques comme Jules César qui ont contribué à ces discussions. Par exemple, César, pendant la guerre des Gaules, a écrit un traité sur l'analogie dans la langue latine.
L'intérêt des Romains pour leur langue allait au-delà du cercle des spécialistes, reflétant une relation étroite entre la langue et l'identité. La correction grammaticale était perçue comme un moyen de définir cette identité, sans pour autant exclure les autres cultures. Les textes bilingues ou trilingues montrent les interactions avec d'autres peuples, sans imposition de la langue latine.
Ce projet s'inscrit également dans nos débats contemporains sur le multilinguisme et la diversité linguistique. Il aborde des questions comme la préservation des langues en voie de disparition et l'enseignement des catégories descriptives de la langue latine. En revisitant la définition et l'évolution des catégories grammaticales (nom, verbe, etc.), le projet vise à éclairer la transmission historique de ces concepts et leur importance dans la compréhension des langues modernes.


Du point de vue des humanités numériques, quelles sont les ressources utilisées pour mener à bien cette étude ?
Les humanités numériques jouent un rôle essentiel dans la mesure où nous nous proposons de renouveler la façon d'éditer les fragments en philologie classique. Les textes fragmentaires sont généralement édités en tant qu’extraits isolés puisqu'il s'agit de citations. Il existe donc des éditions dont les pages comportent des phrases hors contexte, que l’on comprend difficilement. Seule une édition électronique des textes fragmentaires peut effectivement permettre de jouer sur ce rapport citations/contextes et proposer des lectures du contexte qui prennent en compte les différentes formes de discours rapporté.
Tout cela mérite d'être mis en valeur, d'être repris et de faire l'objet d'une annotation intertextuelle.


Une équipe vous accompagnera sur ce projet. Quelle sera-t-elle ?
L’équipe sera très probablement constituée de trois contrats doctoraux, de trois contrats post-doctoraux et d’un poste d'ingénieur de recherche, ainsi que d’un « project manager ».


Vous souhaitez enfin souligner le soutien reçu tout au long du montage du projet.
Je voudrais vraiment mettre en valeur cet aspect, parce que tout seul, je n'aurais jamais pu faire ce projet, sans doute voué à l'échec. Au-delà de l'idée, dans ce genre d'appel, il faut que le projet entre dans une grille très précise, très détaillée, et que le texte proposé corresponde à ce qui est attendu par l'équipe évaluatrice.
Je voudrais remercier encore une fois la direction de la recherche et de la valorisation de la Faculté des Lettres. Elle m'a accompagnée durant une année dans les différentes étapes de la procédure très exigeante.
Il y a une première sélection à partir d'un résumé écrit de deux pages. Puis une deuxième étape consiste en l'évaluation du projet complet par plus de dix spécialistes internationaux anonymes, et se conclut par un exposé oral. Le fait de pouvoir disposer d'un service qui s'occupe de cet accompagnement et de personnes qui connaissent bien ce type de projets a été un vrai atout.