Lancement du projet PALAI : interview de Victor Gysembergh

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui vous a conduit à travailler sur les manuscrits palimpsestes ?

Je suis chercheur au CNRS depuis 2018, affilié au Centre Léon Robin de recherches sur la pensée antique, hébergé par la Faculté des Lettres. J’ai enseigné dans les universités de Heidelberg, de Reims et de Pau, à la Freie Universität de Berlin et à Sorbonne Université. Mes recherches se situent à l’intersection de l’histoire de la philosophie et de l’histoire des sciences. Elles ont pour dénominateur commun la volonté de renouveler l’histoire de la pensée antique de deux façons : en découvrant des nouveaux textes grecs et latins, et en prenant en compte d’autres langues comme l’akkadien des tablettes cunéiformes.

Depuis mon arrivée, je me suis particulièrement intéressé aux manuscrits palimpsestes, ces fascinants témoins du passé dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau. Mon objectif principal est de mettre au jour et d’étudier des textes relatifs à la pensée antique dans toute sa diversité, par exemple les sciences et la philosophie, mais aussi la médecine, la littérature ou encore le droit.

Soutenues par des financements de projet « Émergence » de Sorbonne Université et de la ville de Paris, mes recherches ont abouti à des découvertes de textes majeurs de l’Antiquité tels que le Catalogue d’étoiles d’Hipparque, une introduction romaine à la lecture de Platon, et un traité de Ptolémée sur son Météoroscope.
J’apprécie particulièrement la fécondité de l’Histoire et de la philologie comme véritables « machines à explorer le temps » pour comprendre comment circulaient les idées et les savoirs. Au travers de l’étude des palimpsestes et du projet PALAI, je vais pouvoir poursuivre cette exploration avec mon équipe.

Justement, en quoi consiste le projet PALAI intitulé « PALimpsests: Artificial Intelligence applied to advanced imaging of recycled manuscripts from Northern Italy in the Early Middle Ages, retracing the production of literary palimpsests, analyzing writing and reading practices, and reconstructing an ecology of manuscript culture » ?

PALAI est à la fois une référence au mot grec « autrefois » (πάλαι) et une contraction de « palimpsestes » (PAL) et « artificial intelligence » (AI) mais aussi « advanced imaging » (aussi AI). Ce projet vise à étudier pour la première fois, à grande échelle, un corpus exceptionnel de palimpsestes produits en Italie du Nord au début du Moyen Âge. Ces manuscrits, étudiés depuis plus de deux siècles, ont été observés par le recours de méthodes anciennes, parfois dommageables, comme l’usage de produits chimiques qui ont souvent dégradé les documents.

Les techniques modernes comme l’imagerie multispectrale et la fluorescence des rayons X (XRF) permettent d’envisager un examen en profondeur des manuscrits tout en répondant à de grandes questions historiques sans abimer les palimpsestes. Nous souhaitons ainsi enrichir les travaux des historiennes et historiens, des linguistes et des scientifiques.

Comment comptez-vous utiliser la technologie moderne pour déchiffrer dorénavant ces manuscrits ?

Le processus se décompose en plusieurs étapes :

1. Imagerie avancée : À l’aide de caméras multispectrales de dernière génération et de la fluorescence X, nous obtiendrons des données inédites à l’aide des éclairages spécifiques.
2. Traitement informatique : Les images capturées seront ensuite analysées, entre autres avec des outils inspirés de l’intelligence artificielle, ce qui permettra de révéler les textes effacés.
3. Philologie : Une fois les textes révélés, un travail minutieux de déchiffrement, lettre par lettre, sera effectué.
4. Interprétation : Cette étape consiste à replacer les textes dans leur contexte historique et à en tirer des conclusions scientifiques.

Quel rôle jouent les humanités numériques dans votre projet ?

Les humanités numériques occupent une place centrale dans PALAI, grâce à l’intelligence artificielle et à la numérisation des textes. Nous bénéficions notamment de l’expertise du Sorbonne Centre for Artificial Intelligence (SCAI).

Quelles sont vos attentes et objectifs pour ce projet de cinq ans ?

Notre ambition est celle d’explorer à l’échelle de toute une région ces palimpsestes en tant que phénomène historique structurant, global et massif. Nous voulons comprendre la production et la circulation de ces manuscrits, et ce qu’ils nous disent, par exemple, du rapport au patrimoine ou encore à l’environnement.

Un autre objectif majeur est la découverte de nouveaux textes. À défaut, nous espérons produire des données durables, utilisables pendant des décennies, à la fois sous forme d’images et d’éditions critiques.

Enfin, puisqu’il s’agit de manuscrits particulièrement fragiles, nous souhaitons contribuer à leur digitalisation comme une manière de les conserver, voire de les sauver, en travaillant main dans la main avec les bibliothèques et toutes les institutions détentrices de palimpsestes.

Pouvez-vous décrire l’équipe qui vous accompagnera dans ce projet ?

Notre équipe sera résolument interdisciplinaire et internationale. Elle comprendra un ingénieur spécialisé en imagerie, plusieurs post-doctorantes et post-doctorants et au moins un doctorant ou une doctorante. Nous collaborerons également avec des spécialistes des manuscrits grecs et latins, d’autres cultures manuscrites, des spécialistes de l’histoire et de l’archéologie du début du Moyen Âge ainsi que des spécialistes des technologies d’imagerie et de traitement d’images.

Comment s’est déroulée la préparation de ce projet avec la Direction de la recherche et de la valorisation (DRV) de la Faculté ?

La préparation de ce projet a bénéficié d’un accompagnement décisif. J’ai d’abord été soutenu par le CNRS pour la rédaction du projet écrit, puis également par la DRV, qui m’a fourni un soutien essentiel dans la préparation de l’oral, étape cruciale pour l’obtention de ce financement.