Anne-Vélérie Pont
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Lancement du projet PECUNIA : interview d’Anne-Valérie Pont

Enseignante-chercheuse à l’UFR d’Histoire de la Faculté des Lettres, Anne-Valérie Pont a obtenu, pour Sorbonne Université, un financement de l’ERC pour son projet PECUNIA, afin d’étudier les intérêts matériels et financiers liés aux fonctions publiques dans les cités de l’Empire romain.

Le Conseil européen de la recherche (ERC) a sélectionné votre projet pour un financement important sur cinq années. Pouvez-vous vous présenter ?
Historienne spécialiste de l’époque romaine, je suis agrégée d’histoire depuis 2002 et j’ai soutenu une thèse en histoire romaine en 2005. Après avoir été membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), j’ai soutenu mon habilitation à diriger des recherches en 2015. Le cœur de mes recherches porte sur les cités grecques de l’Orient romain et sur leur fonctionnement social et institutionnel dans un ensemble impérial. Je suis également membre de l’unité de recherche Orient et Méditerranée, au sein de l’équipe de recherche Antiquité classique et tardive. Durant l’année universitaire 2019/2020, j’ai eu l’opportunité de participer à une résidence de chercheurs et chercheuses à l’Institute for Advanced Study à Princeton. C’est le point de départ du projet PECUNIA.


Qu’est-ce que le Conseil européen de la recherche (ERC) qui finance votre projet de recherche ?
En deux mots, il s’agit d’un organisme européen qui finance des projets en « recherche fondamentale », sur le critère principal de l’innovation et du renouvellement des savoirs. L’évaluation est très poussée, avec un panel d’expertes et d’experts, d’évaluateurs et d’évaluatrices extérieures. Plus d’une dizaine d’expertes et d’experts évaluent ainsi les projets.
J’ai obtenu un financement Consolidator Grant à la suite du concours de 2022. Ce financement permet, de manière unique, de faire vivre un projet de recherche pendant 5 ans aux côtés d’une équipe recrutée à cet effet.


En quoi consiste le projet « PECUNIA. Private interests in public functions: Framing a new paradigm of power in the cities of the Roman Empire, from the end of the Republic to Diocletian » ?
En examinant les nombreuses cités qui constituaient l'Empire romain de 70 av. J.-C. à 284 ap. J.-C., le projet PECUNIA explore les avantages matériels et financiers liés aux positions publiques. Il étudie également comment ce phénomène était perçu, d’un point de vue culturel et social, et réglementé à la fois au niveau central de Rome et au niveau des cités. C’est intéressant en soi et cela permet aussi de donner des éléments de réponse nouveaux à la question de la stabilité institutionnelle et sociale des cités, dans l’Empire, pendant plus de trois siècles. Par ailleurs, les perspectives de comparaison et de dialogue avec d’autres périodes et d’autres disciplines des sciences humaines sont très riches, par exemple sur le thème de la corruption.
L'enquête sera menée à l'échelle de l'Empire, pour permettre les comparaisons entre différentes traditions en matière de comportement politique et de régulation des relations sociales. Par ailleurs, des sources classiques dans les études institutionnelles sont mobilisées mais nous examinerons aussi des sources reflétant des points de vue différents de ceux du pouvoir, local ou impérial, comme la littérature dite « populaire » (diseurs de sort, romans…). En outre, pour coordonner les informations et analyser les structures sociales, nous utiliserons des concepts issus des sciences politiques et de la sociologie, notamment sur les élites politiques. L’obtention de résultats historiques sera enfin plus riche grâce à un travail interdisciplinaire avec des chercheurs et chercheuses en informatique, dans le cadre d’une base de connaissances.


Pourquoi PECUNIA ?
Pecunia signifie « argent » en latin ; vu le thème du projet, ce nom le reflétait bien, et Pétrone, romancier satiriste du 1er s. ap. J.-C., souligne d’ailleurs le pouvoir de l’argent (pecunia) face aux lois et l’impuissance de la pauvreté, nous mettant directement au cœur du lien complexe entre les intérêts des élites politiques et sociales et la participation à la vie de la cité.


Du point de vue des humanités numériques, quelles sont les ressources utilisées pour mener à bien cette étude ?
Un premier aspect concerne la mise en œuvre de la saisie des sources pertinentes par les historiennes et historiens. Une proposition en matière de base de données adaptée à nos propres enjeux existe déjà, grâce au travail de collègues de l’équipe Ausonius à Bordeaux, autour d’un autre projet ERC (https://patrimonium.huma-num.fr/atlas/editor/). Un deuxième aspect concerne la création et la visualisation des graphes sémantiques. Pour cela et pour répondre au questionnement spécifique du projet, Victoria Eyharabide, maîtresse de conférences à STIH dans la Faculté des Lettres et moi-même encadrerons des informaticiennes et informaticiens travaillant dans le domaine de l’ingénierie des connaissances. Nous développerons des ontologies permettant d’organiser les données et de produire, par exemple, une modélisation des relations entre positions publiques et accès à des ressources.


Une équipe vous accompagnera sur ce projet, de qui sera-t-elle constituée ?
L’équipe sera en perpétuelle évolution en fonction des périodes de recherche. Nous avons déjà commencé la mise en place du volet informatique avec un post-doctorant en informatique. Une spécialiste de l’épigraphie grecque du monde égéen nous rejoindra bientôt. Par la suite, deux autres spécialistes de l’Occident romain seront recrutés ainsi qu’un historien papyrologue prenant en charge des aspects de la question pour l’Égypte. Un doctorant ou une doctorante sera également formé et intégré à l’équipe ; enfin, une responsable de la communication scientifique nous accompagne tout au long du projet.
Des chercheurs et chercheuses invités rejoindront également PECUNIA pour des colloques, des séjours ou des séminaires.


Vous souhaitez enfin souligner le soutien reçu tout au long du montage du projet.
En effet, dès cette phase préliminaire, il s’est agi d’une entreprise collective, grâce aux discussions avec des collègues chercheurs et chercheuses, historiennes et historiens et d’autres disciplines. Les échanges avec SCAI (Sorbonne Center for Artificial Intelligence) autour des humanités numériques, ainsi que l’expertise de la cellule Europe et de la DRV (Direction de la recherche et de la valorisation) de la Faculté des Lettres, ont été fondamentaux. Grâce à ce support et à un suivi très pertinent, l’écriture du projet a été une aventure intellectuelle encore plus stimulante qu’envisagée et j’ai été remarquablement accompagnée jusqu’à la préparation de l’oral.