Rencontre avec l’égyptologue Frédéric Payraudeau, à l'origine de l’identification d’un fragment du sarcophage de Ramsès II
Rencontre avec Frédéric Payraudeau, égyptologue français et maître de conférences habilité à diriger des recherches à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Spécialiste de l'égyptologie, son expertise l'a récemment conduit à une découverte majeure : l'identification d'un fragment du sarcophage de Ramsès II, l'un des plus grands pharaons de l'Égypte antique.
Frédéric PayraudeauL'égyptologie, quand elle est bien faite, est souvent plus fascinante que les mythes qu'on lui prête.
Pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre parcours et de ce qui vous occupe actuellement ?
Je suis égyptologue. Ma formation m'a amené à fréquenter autant l'archéologie que l'histoire, l'histoire de l'art ou la philologie comme c'est souvent le cas de notre métier, dans lequel ces disciplines sont étroitement liées. Il est ainsi indispensable de maîtriser la langue et les écritures égyptiennes, hiéroglyphiques et autres, pour réaliser des recherches dans notre domaine, car les sources écrites ont une grande importance. Ces compétences me servent dans la recherche, notamment au sein des missions archéologiques et projets auxquels je participe depuis 25 ans.
J'ai pris part à diverses missions, dont la mission française de Saqqâra, la mission de Deir el-Bahari avec l'équipe polonaise, et surtout les missions de Karnak, notamment en collaboration avec Laurent Coulon du Collège de France. À Karnak, nous travaillons sur les chapelles osiriennes. Actuellement, je prépare le prochain séjour de la mission française des fouilles de Tanis, dont j'ai été directeur adjoint depuis 2013, et que je dirige depuis 2023. Ces deux chantiers sont focalisés sur l'Égypte du premier millénaire, une période que j'étudie depuis le début de ma carrière.
Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans l'Égypte du premier millénaire ? Qu'est-ce qui vous intéresse particulièrement dans cette période ?
Le premier millénaire est fascinant car il suit une période de prospérité et d'unité de l'Égypte et est marqué par l'effondrement de l'État et une restructuration progressive. Cette époque voit aussi l'influence et la domination d'étrangers, comme les Libyens, les Nubiens, et plus tard les Perses et les Grecs. La transformation de la société et de la culture égyptiennes à cette époque est ce qui m'intéresse particulièrement, surtout la question de savoir comment l'État a tenté de se réinventer en s'inspirant des modèles d’époques anciennes et prestigieuses.
Vous avez récemment identifié un fragment du sarcophage de Ramsès II. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette découverte ?
En effet, j'ai récemment identifié un fragment du sarcophage appartenant à Ramsès II (vers 1279-1212 av. J.-C.), qui avait été remployé par un grand prêtre de la XXIe dynastie, 200 ans plus tard. C’est en 2009 que le sarcophage a été découvert et en 2017 qu’il a été porté à la connaissance du public scientifique.
Puis, en 2023, un collègue américain m’a transmis les photos du fragment et j'ai rapidement compris qu'il s'agissait de Ramsès II. Le cartouche royal, conservé sous le nom du nouveau propriétaire, comportait le nom de couronnement de Ramsès II, qui lui est propre. Mes collègues, auxquels j'ai soumis l'article pour évaluation, n'ont eu aucun doute non plus.
Ce qui est intéressant, c'est non seulement l'identification d'un sarcophage supplémentaire de Ramsès II, mais également le fait que son nom gravé n'ait pas été effacé lors de son réemploi, ce qui est rare. Cela montre un respect pour le propriétaire d’origine, même lors de sa réutilisation. C'était une découverte réjouissante. Même si elle n'a pas révolutionné l'histoire elle a quand même eu un bel écho et a apporté des informations nouvelles sur le mobilier funéraire des pharaons.
Comment avez-vous géré la communication autour de cette découverte ?
Ce n’est jamais très facile, mais la communication a été bien orchestrée par le CNRS et l'université. J'ai réalisé des interviews avec des médias internationaux comme CNN, la BBC, et Arab News. La couverture médiatique a été excellente, et j'espère que cela permettra de valoriser davantage cet objet sur place et de montrer que la France est à la pointe de la recherche égyptologique.
Vous avez également mentionné l'importance de la diffusion scientifique. Comment abordez-vous cet aspect de votre travail ?
J'accorde une grande importance à la diffusion scientifique des recherches, tant au sein de la communauté académique que vers le grand public. D’ailleurs j'assure à la Sorbonne, depuis 2017, un séminaire dans lequel je partage les découvertes quasiment en temps réel avec mes étudiantes et étudiants. Mais il est aussi crucial de rendre accessible cette connaissance au grand public, notamment à travers des conférences et/ou des articles. C'est une façon de valoriser notre travail scientifique, d’autant plus que l'Égypte ancienne fascine toujours autant.
Quelles sont vos perspectives de recherches pour l'avenir ? Avez-vous des projets en cours ?
Comme mentionné précédemment je suis directeur, depuis 2023, de la mission archéologique de Tanis et je prépare la prochaine mission de ce chantier historique pour l'automne. Cette nouvelle campagne archéologique se concentrera principalement sur la restauration de la nécropole royale, un site d'une importance capitale découvert par des archéologues français en 1939. Malgré le caractère exceptionnel de ces découvertes, notamment des tombeaux intacts regorgeant de trésors, l’actualité de la période a limité leur retentissement médiatique, à l'inverse de la célèbre découverte de Toutankhamon.
Quels sont les défis et objectifs de la conservation de la Nécropole Royale à Tanis ?
L'enjeu principal réside dans la préservation des tombeaux, dont les parois décorées de reliefs peints sont gravement menacées par l’action des sels et des eaux pluviales. Il est indispensable de procéder à des travaux de nettoyage, de préservation et de protection, incluant l’enfouissement et la couverture des tombes pour assurer leur survie.
Mais ce projet nécessitera un mécénat significatif, car il ne s'agit pas simplement de fouilles archéologiques traditionnelles. Les fonds seront principalement alloués à la conservation des structures existantes et à leur mise en valeur. Nous envisageons, par exemple, d'utiliser la photogrammétrie pour créer des représentations en trois dimensions des tombes et de leurs parois décorées. Ces images serviront à la fois pour la valorisation en ligne, accessible au grand public, et pour une étude approfondie des inscriptions funéraires.
Nous avons par ailleurs, engagé un ambitieux programme de révision et de correction des textes et des dessins effectués lors de précédentes campagnes. L'objectif ultime est de republier un ouvrage de référence sur ces textes funéraires, notamment ceux des XXIe et XXIIe dynasties. Ces recherches permettront non seulement de clarifier certains aspects historiques de ces périodes, mais aussi de mieux comprendre les pratiques funéraires et la symbolique religieuse de cette nécropole royale et plus largement de l'époque.
Pour conclure, quel message aimeriez-vous transmettre au public à propos de votre travail en égyptologie ?
J'aimerais que le public comprenne la richesse et la variété des approches de cette discipline. L'Égypte ancienne continue de nous surprendre et il est crucial que nous, les professionnels, continuions à partager ces découvertes avec le plus grand nombre pour éviter que des informations erronées ne prennent le dessus. L'égyptologie, quand elle est bien faite, est souvent plus fascinante que les mythes qu'on lui prête.