Traduire à la Renaissance
Expérimentation stylistique et rénovation des lettres espagnoles (1534-1589). Au cours des décennies centrales du XVIe siècle, la traduction devint un vecteur primordial d’une quête de renouvellement des genres et des styles et, en somme, de l’établissement d’un nouveau système littéraire.
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Du 23 juin. 2022 au 25 juin. 2022
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Colloque
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Sorbonne et Maison de la Recherche. Inscriptions obligatoires avant le 22 juin.
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BLANCO Mercedes
Au cours des décennies centrales du XVIe siècle, la traduction devint un vecteur primordial d’une quête de renouvellement des genres et des styles et, en somme, de l’établissement d’un nouveau système littéraire. Telle est l’hypothèse dont part ce colloque.
Ainsi, l’on traduisit, pendant cette période, souvent pour la première fois, quelques-uns des monuments canoniques de la littérature classique, épopées grecques et romaines (Virgile, Ovide, Lucain, Homère), quelques tragédies grecques et comédies latines (Plaute et Térence), et de fictions antiques en prose qui ont joué un rôle décisif dans la naissance et le développement du roman et de la nouvelle, comme les œuvres de Lucien et d’Héliodore. En outre, sont traduits pour la première fois des textes qui, sans être fictifs, sont proposés comme modèle de prose adaptée à la conversation familière, dont vont se nourrir les romanciers et les prosateurs : épîtres de Cicéron, traduites par Pedro Simón Abril en 1589. On traduisit aussi les historiens Flavius Josèphe, Plutarque et Tite-Live, dont l’exemple fut déterminant l’écriture historique au sens large.
Parallèlement à ce mouvement d’accommodation de l’héritage classique, on traduisit des œuvres modernes plus faciles à adapter aux goûts du lecteur et prêtes à servir de modèle aux lettres castillanes : le Courtisan de Castiglione (1534), le Philocolo de Boccace (1541), l’Arcadie de Sannazare (1547), le Roland furieux de l’Arioste (1547), les Azolains de Bembo (1551), le Roland amoureux de Boiardo (1555), les Triomphes de Pétrarque (1555). Les traducteurs étaient également attentifs aux œuvres en latin humaniste, tels le De partu Virginis de Sannazare (1547), les Emblèmes d’Alciat (1549), la Christias de Vida (1551) ou le Momo d’Alberti (1553).
Ces traductions constituent un élément clé de la “Renaissance” dans la littérature espagnole et permettent une transformation et une modernisation de la prose et du vers. Leur importance se mesure par leur nombre, leur succès souvent considérable et le rang social des traducteurs– le cas de Gonzalo Pérez, puissant et opulent secrétaire du prince puis du roi Philippe II, et également traducteur de l’Odyssée, est extrême mais représentatif.
Nous proposons dans ce colloque une première approche du champ ainsi délimité, en limitant la portée chronologique des textes analysés entre 1534, date de l’édition de la traduction du Cortesano de Castiglione par Juan Boscán, et 1589, qui voit la publication de l’édition intégrale des Epitres de Cicéron en espagnol par Pedro Simón Abril (la traduction intégrale des Métamorphoses en hendécasyllabes par Pedro Sánchez de Viana est également de cette année-là). Boscán et Simón Abril, ont des points communs intéressants. Ces personnages, tous deux remarquables par leur esprit d’entreprise et leur esprit réformateur, écrivant en castillan depuis la Couronne d’Aragon, révèlent leur intention de naturaliser le texte source pour le rendre authentiquement espagnol, comme s’il n’existait préalablement dans aucune autre langue (selon l’expression de Garcilaso). Du reste, le paratexte de ses traductions comporte une dimension réflexive et théorique sur la traduction elle-même.
Thématiques abordées
- A quels types sociaux et littéraires appartiennent les traducteurs de la Renaissance ? Nous aimerions connaître les circonstances dans lesquelles ils entreprennent leur tâche, l'environnement dans lequel ils vivent et écrivent, les cercles littéraires auxquels ils appartiennent, le rôle des imprimeurs ou des mécènes .
- Comment les traducteurs travaillent-ils, de quels outils se servent-ils, dictionnaires, commentaires, traductions intermédiaires ? Il serait intéressant à cet égard de comparer à cet égard deux ou plusieurs états d'une traduction ou plusieurs traductions d'une même œuvre.
- La traduction peut parfois être considérée comme une expérimentation des possibilités de la langue cible, un laboratoire qui oblige le traducteur à prendre conscience de la grammaire de sa propre langue, de son vocabulaire, et qui incite à créer ou à développer de nouvelles possibilités expressives : par exemple, l'octave comme véhicule d'un long récit.
- Dans les cas où la traduction implique l'importation en lettres espagnoles d'un genre qui n'existait pas auparavant, comment le changement générique est-il perçu ? Quelles caractéristiques formelles accompagnent ce changement ?