Lettres d’un voyageur russe de Nikolaï Karamzine
Publiées entre 1791 et 1801, les Lettres d’un voyageur russe de Nikolaï Karamzine (1766-1826) sont le premier grand récit de voyage littéraire produit par la littérature russe moderne. Double autofictionnel de l’écrivain, leur narrateur y décrit, sous la forme d’une correspondance factice, le voyage qu’il entreprit en 1789-1790 à travers l’Allemagne, la Suisse, la France et l’Angleterre. Sentimental, galant, mais aussi et surtout curieux, celui que l’on appellera bientôt en Russie le « Voyageur russe » ou « notre Sterne », y offre à ses lecteurs un tableau complet de chacune des civilisations rencontrées, s’arrêtant tant sur les paysages que sur les mœurs, les pratiques culturelles et sociales ou les chefs-d’œuvre de la littérature et des Beaux-Arts, sans oublier les événements dont il est le témoin, à commencer par la Révolution française. Philanthrope et xénophile, le voyageur y propose également une galerie des grands hommes approchés, de Kant à Lavater en passant par Wieland ou Bonnet, ainsi que le récit fidèle de leurs entretiens. Ce faisant, il montre à ses compatriotes qu’un jeune russe cultivé est digne du commerce des plus grands esprits de l’Europe, et les incite à suivre son exemple en se cultivant et en conquérant le vaste monde. Mais le voyageur parle également aux gens simples, des aubergistes allemands aux bergers suisses en passant par les fleuristes parisiennes, et enseigne ainsi à la noblesse russe la bienveillance et la sympathie.
Écrites dans une langue moderne et harmonieuse, dont l’attrait gagna à la littérature russe de nouveaux lecteurs, et notamment des lectrices, les Lettres d’un voyageur russe jouirent d’un vaste succès et firent l’objet de nombreuses imitations jusque dans les années 1820. La présente édition en offre la première traduction française intégrale.
Rodolphe Baudin est professeur à l’UFR d’études slaves de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, spécialiste de la littérature russe du XVIIIe siècle.