Installation de l’historien Lucien Bély à l’Académie des sciences morales et politiques
Lucien Bély a enseigné de 1997 à 2024 comme professeur d’histoire moderne à la Faculté des Lettres. Son installation sous la Coupole de l’Institut de France a eu lieu le 30 septembre 2024. Il résume dans cet article son parcours et ses travaux.
Jeunesse
Né en 1955, j’ignorais tout de la course d’obstacles que la république a instituée pour ceux qui s’intéressent aux sciences, en particulier à celles dites humaines. Passionné par l’évolution de l’humanité, j’ai choisi, après une scolarité scientifique, de suivre des études supérieures en histoire, discipline qui me semblait proposer une approche délicate de la condition humaine. J’ai donc franchi les étapes traditionnelles : École normale supérieure-Lettres de la rue d’Ulm, maîtrise sur l’éducation au temps des Lumières, agrégation d’histoire et, en 1987, une thèse d’État en histoire moderne, centrée sur les XVIIe et XVIIIe siècles.
Ayant le sentiment que l’histoire des relations internationales et de la diplomatie avait été depuis longtemps délaissée pour cette période, j’ai pris le parti de m’y consacrer totalement, en cherchant des méthodes et des thèmes nouveaux. Sur ce chemin, la Fondation Thiers et le CNRS m’ont accueilli pendant trois ans.
Professeur, universitaire, historien
Après avoir enseigné quelques années dans le secondaire et en École normale d’instituteurs, une fois docteur ès lettres, je suis entré en 1988 dans le supérieur. J’ai également donné des cours dans plusieurs universités françaises et étrangères, ainsi qu’à Sorbonne Université Abu Dhabi.
Si mes années de travail, en particulier à la Sorbonne, ont été heureuses, je le dois aux étudiantes et aux étudiants qui m’ont fait confiance. Soucieux d’innovation pédagogique, j’ai toujours enseigné de la licence au doctorat, et publié des manuels universitaires (Les Relations internationales en Europe XVIIe-XVIIIe siècles ; La France moderne 1498-1789). J’ai dirigé 39 doctorantes et doctorants jusqu’à la soutenance de leur thèse et accompagné 7 collègues pour leur habilitation à diriger des recherches.
De même, la diffusion des connaissances auprès des curieuses et curieux d’histoire m’apparaît comme un plaisir et un devoir à travers conférences, livres et articles pour le grand public, émissions de radio et de télévision.
J’ai assumé des responsabilités administratives diverses dans les établissements auxquels j’ai appartenu, ainsi qu’au niveau national. Dès l’origine, je me suis engagé dans la préparation d’échanges Erasmus.
Vingt ans durant, j’ai eu l’honneur de coordonner l’Association des historiens modernistes des universités françaises (AHMUF), comme secrétaire général, puis comme président. Participant aux travaux de plusieurs sociétés savantes, je coordonne, chaque année, un numéro de la Revue d’histoire diplomatique et je préside, depuis 2024, la Société d’étude du XVIIe siècle. Je fais partie du Conseil présidentiel de la science, établi auprès du Président de la République en 2023.
Après avoir créé, à l’Université Paris XII, un centre de recherche, devenu équipe d’accueil, j’ai été, à la Sorbonne, membre du Centre Roland Mousnier et directeur adjoint, puis directeur, de l’Institut de Recherches sur les civilisations de l’Occident moderne.
Recherches, réalisations, publications
Lors de la préparation de mon doctorat, les riches correspondances des archives diplomatiques m’ont suggéré trois pistes majeures que j’ai suivies : la quête de l’information, la représentation du souverain et de la souveraineté, les pratiques de la négociation. Ma thèse, « Diplomates et diplomatie autour de la paix d’Utrecht (1713) », a été publiée en 1990 sous un titre plus attractif : Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV.
Ayant travaillé sur une paix européenne, j’ai développé, avec des collègues de nombreux pays, des enquêtes systématiques sur les grands moments de recomposition politique en Europe, autour des principales réunions et congrès diplomatiques, du XVIe au XVIIIe siècle. J’ai organisé moi-même une série de colloques internationaux dont les actes ont été publiés et qui ont intégré de plus en plus la dimension globale (La diplomatie-monde. Autour de la paix d’Utrecht, 2019). Cela m’a conduit aussi à définir un « art de la paix » (L’Art de la paix en Europe. Naissance de la diplomatie moderne, XVIe-XVIIIe siècle, 2007).
L’étude des acteurs que sont les États souverains des Temps modernes m’a permis de dégager les règles du système européen qui conduisaient les maisons, ou dynasties, à se lier ou à s’affronter (La société des princes, 1999).
La direction d’un ample dictionnaire sur l’Ancien Régime correspond à une autre dimension de mes recherches : sans visée nostalgique, j’ai cherché à décrire et à expliquer les fondements de l’organisation politique et sociale de la France, pour comprendre à la fois sa longévité et son effondrement après 1789. Parmi les figures princières, j’ai donné une place singulière à Louis XIV en lui consacrant un ouvrage et même un dictionnaire. J’ai voulu aussi rendre compte des usages du secret dans les méthodes de gouvernement en France (Les secrets de Louis XIV. Mystères d’État et pouvoir absolu).
À l’Académie
Depuis 2023, je siège à l’Académie des sciences morales et politiques (l’une des cinq de l’Institut de France), au fauteuil n°5 de la section Histoire et géographie, occupé avant moi par des historiens et des géographes importants (Guizot, Fustel de Coulanges, Sorel, Vidal de la Blache, Febvre, Chaunu). Aujourd’hui, l’Académie compte plusieurs autres professeurs émérites de la Sorbonne : Pierre Brunel, Daniel Andler, Jean-Robert Pitte, Georges-Henri Soutou, Jean Tulard.
Mon installation solennelle a eu lieu, le 30 septembre 2024, sous la Coupole de l’Institut et j’ai rendu hommage à mon immédiat devancier, Philippe Levillain, un spécialiste de l’histoire des papes, de la papauté et du catholicisme et, à travers lui, au métier de professeur et d’historien.
L’académie à laquelle j’appartiens compte des juristes, des économistes, des philosophes, des sociologues… ainsi que d’éminentes figures de la vie publique : elle s’occupe donc d’analyser le présent pour préparer l’avenir. Que peut y apporter l’historien, surtout un historien de périodes déjà anciennes ? Il peut aider à retrouver les racines profondes des interrogations, des idées et des pratiques qui marquent notre monde contemporain. Il doit souligner l’importance du temps, et du temps long, pour rendre compte de l’évolution des sociétés. Il doit faire comprendre aussi les visions nouvelles que les historiennes et historiens proposent pour détruire les conceptions obsolètes ou idéologiques du passé.